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Goddin Books

La reine de la chance (les mystères de Molly Sutton 2)

La reine de la chance (les mystères de Molly Sutton 2)

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mystère léger

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La Bostonienne Molly Sutton s'installe dans un village en France pour se reconstruire après un divorce – mais voilà qu'une jeune fille disparaît. Suivez cette expatriée intrépide alors qu'elle dévoile des secrets et traque des meurtriers dans le charmant village de Castillac, tout en dégustant quelques pâtisseries au passage.

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2005

Dans le grand manoir de la rue Simenon, au centre de Castillac, assise sur un profond fauteuil recouvert d’un tissu si couteux qu’il aurait pu payer une petite voiture, Joséphine Desrosiers regardait un jeu télévisé. Elle portait une chemise de nuit que son mari, décédé depuis longtemps, lui avait achetée à Paris trente ans plus tôt. Elle cligna des yeux tandis que l’animateur parlait rapidement d’un ton jovial forcé, les lumières du plateau clignotant alors qu’un concurrent parvenait à marmonner la bonne réponse.

Mme Desrosiers avait soixante-et-onze ans, et son ouïe était toujours aussi fine. Elle entendit la porte de la cuisine se fermer trois étages plus bas, bien que Sabrina, la femme de ménage qui venait chaque matin, fût une fille discrète, et pas du tout du genre à claquer les portes. Joséphine se leva et éteignit brusquement le téléviseur, puis lissa le coussin du fauteuil pour qu’il paraisse frais et non utilisé. Ensuite, elle grimpa agilement dans son immense lit aux colonnes ornées et à la tête de lit sculptée, puis ferma les yeux avec force.

Sabrina ne pouvait pas nettoyer toute la maison de quatre étages en une journée, même si elle était jeune et travailleuse. Ce jour-là, elle fit tout le premier étage et la majeure partie du deuxième, mais ne monta pas jusqu’à la chambre de Mme Desrosiers. Mme Desrosiers lui avait dit qu’elle était très malade et qu’elle n’avait pas la force de recevoir des visiteurs, y compris Sabrina, alors on la laissa tranquille. Elle avait une boite de crackers sous son lit et un morceau de Brie qui avait dépassé sa date limite — largement assez de nourriture, merci — alors elle ne sonnait jamais la cloche des domestiques.

À la fin de la journée, quand Mme Desrosiers entendit la porte se fermer doucement, elle glissa hors du lit et ralluma la télévision. Puis elle fit ses exercices devant un énorme miroir à cadre doré, comptant ses mouvements, se penchant à droite puis à gauche, respirant lourdement dans l’effort d’essayer de toucher ses orteils. Elle se préparait pour le meilleur moment de la journée, quand elle s’assiérait à son bureau pour écrire des lettres. Chacune était une lettre de harcèlement, de dénigrement et d’instruction, et chacune d’entre elles, une fois ouverte, était accueillie par le même sentiment de déflation et même de honte chez son destinataire, exactement comme Joséphine le souhaitait.

Joséphine Desrosiers avait été une femme chanceuse, sur le plan matériel. Sa famille n’avait pas été riche, mais son mari avait inventé quelque chose qui lui avait rapporté des millions. (Elle ne savait pas exactement quoi — quelque chose d’électrique, pensait-elle.) Et désormais, elle pouvait jouer le rôle crucial de Riche Veuve devant les jeunes membres de sa famille, tous à ses pieds, espérant qu’une miette tombe de sa table.

Enfin, il y avait un membre de la famille qui faisait ça en tout cas : Michel, son neveu. Il passerait probablement ce soir-là, comme il le faisait habituellement en fin de semaine, avec l’intention de la flatter. Très rarement, elle lui écrivait un petit chèque. Elle aimait parfois se considérer comme généreuse, et, avec un impressionnant contrôle de soi, elle arrivait à nier tout lien dans son esprit entre l’attention de Michel et l’argent qu’elle lui donnait. Alors qu’elle pensait à Michel, la sonnette retentit et elle l’entendit entrer. Elle n’était pas tout à fait habillée et elle aimait le faire attendre. Joséphine aimait l’idée du jeune homme assis dans son salon, se tournant les pouces, n’ayant rien d’autre à faire qu’attendre le moment où elle apparaitrait en haut du large escalier en colimaçon.

Une coiffeuse trônait dans un coin de la vaste salle de bain attenante à sa chambre, couverte de flacons de parfum en cristal et de vieilles boites d’eyeliner et de fond de teint. Elle s’assit en se regardant dans le miroir, brossant ses mèches de cheveux blancs vers le haut. Elle trempa le bout de ses doigts dans un pot de rouge à lèvres et colora ses joues ridées. Elle appliqua du rouge à lèvres et le tamponna avec du papier buvard spécial. Il lui vint à l’esprit, pas pour la première fois, qu’un peu de musique serait agréable à écouter pendant qu’elle se préparait, mais le tourne-disque s’était cassé des décennies auparavant et elle ne voulait rien de laid et de moderne dans la maison.

Finalement, avec une vaporisation de parfum, Joséphine Desrosiers était prête à accueillir son neveu. Elle était vive pour son âge et les escaliers ne lui posaient aucun problème. Elle faillit fredonner en descendant, mais s’arrêta, car elle considérait que fredonner était une occupation de basse classe. Son neveu, mâchonnant un ongle, était assis sur le bord du coussin du canapé, ses cheveux bruns tombant sur un œil.

— Ah, Michel, comment vas-tu ?

Michel se leva d’un bond du canapé et embrassa sa tante sur les deux joues, murmurant les formules de politesse les plus distinguées qu’il put trouver.

Il détestait sa tante.

Il la trouvait méchante et narcissique, ce qui était plutôt évident.

— Que voudriez-vous faire ce soir, ma chère ? lui demanda-t-il si prévenant, qu’il se croyait presque lui-même.

— Que diriez-vous d’un peu de télévision ? J’ai entendu dire qu’il y a un nouveau…

— La télévision est vulgaire, dit madame Desrosiers.

— Ah. Eh bien, dois-je vous emmener diner alors ? Avez-vous faim ?

Elle réfléchit. Elle aimait bien entrer dans un restaurant et voir les gens qu’elle connaissait se lever pour venir la saluer. Mais d’un autre côté, quel service fastidieux ! Quelle dépense excessive ! Elle avait perdu l’appétit depuis des années, et elle ne voyait pas l’intérêt de passer autant de temps et dépenser autant d’argent pour quelque chose qui ne l’intéressait pas particulièrement.

— Si tu pouvais me préparer ma boisson habituelle, dit-elle.

Michel soupira intérieurement et se dirigea vers un buffet. Il prit un verre à liqueur dangereusement fragile à l’intérieur du meuble et le plaça sur un plateau en argent. Puis, il versa un peu de Dubonnet d’une carafe en cristal et apporta le verre à sa tante. La boisson sentait le renfermé comme le reste de la maison et il ne respira pas jusqu’à ce qu’elle le prenne.

Il aurait lui-même apprécié un verre, mais il avait appris que se servir, ou, même demander poliment s’il pouvait se joindre à elle était une erreur. Et avec Tante Joséphine Desrosiers, on ne voulait pas faire d’erreurs. Pas si on voulait échapper à une cruelle réprimande.

Et certainement pas si on voulait hériter de son argent.

* * *

Molly Sutton frotta sa manche sur la fenêtre en essayant d’essuyer la condensation qui bloquait sa vue sur la prairie, mais en fait, ce n’était pas de la buée qu’il y avait sur la vitre, mais de la glace. À l’intérieur ! Son premier hiver en France, et oh, qu’il était froid. Les températures les plus basses depuis des décennies, et La Baraque — sa belle, étrange et vieille maison — n’était pas isolée.

Elle avait emménagé dans le village de Castillac à la fin de l’été. Un nouveau départ dans un endroit magnifique : une vie de jardinage, de repas fabuleux, de gestion d’un gite et de conversations avec des éleveurs de chèvres ; voilà ce qu’elle avait imaginé. Au lieu de cela, elle avait découvert un cadavre dans les bois et s’était retrouvée impliquée dans une enquête de meurtre, ce qui ne correspondait pas exactement à la paix et la sérénité qu’elle recherchait.

Mais dans l’ensemble, Castillac était encore mieux que ce dont elle avait rêvé : elle s’était fait des amis, même de bons amis ; la beauté du village et de ses environs ne cessait jamais de lui couper le souffle ; et les pâtisseries étaient sublimes.

Molly était prête à affirmer que toute journée commençant par un croissant aux amandes de la Pâtisserie Bujold était, au moins, un début de succès. Bien sûr, ils étaient à leur apogée quand ils étaient tout frais, ce qui impliquait de marcher un kilomètre et demi jusqu’au village pour en acheter un de bon matin, encore chaud du four. Et le Café de la Place n’était qu’à deux pas de la pâtisserie, après tout, pourquoi ne pas s’y arrêter pour un café crème et dire bonjour à ce serveur éblouissant, Pascal.

Elle ne flirtait pas avec lui, pas vraiment. Elle était trop vieille pour lui de toute façon. Néanmoins, il lui montrait son appréciation réciproque lorsqu’il prenait sa commande, accompagné d’une lueur dans les yeux, comme pour dire : dans un univers parallèle, je m’amuserais bien avec toi, oh oui.

Molly se permettait de lui rendre ce regard pétillant.

Mais tous ces regards pétillants étaient un échange plutôt estival, quand s’assoir dehors avec le soleil dans le dos était si agréable, et que les journées étaient si longues qu’il était parfois difficile de les remplir. L’hiver était une tout autre histoire. Les restaurants fermaient leurs terrasses, et tout le monde s’emmitouflait dans de gros manteaux et des pulls. Ça ne faisait pas très sexy. Au lieu d’être chaude, décontractée et insouciante, la vie semblait rigide et confinée.

Le meilleur ami de Molly à Castillac était Lawrence Weebly, mais il était parti pour un mois au Maroc, et décembre commençait à trainer un peu. Elle se sentait seule.

Au lieu d’aller au village, elle alluma son ordinateur et vérifia ses e-mails. Aucune demande de réservation pour le gite, ce qui la rendait, en plus de seule, anxieuse à propos de l’argent. Mais au moins, le premier problème était assez facile à résoudre. Elle envoya un e-mail à Frances, sa meilleure amie des États-Unis, et l’invita à venir pour une longue visite. Le gite était vide de toute façon et Molly apprécierait la compagnie.

Frances devait être assise devant son ordinateur au même moment, car en trois secondes elle répondit par e-mail : « JE FAIS MES VALISES. »

Molly sourit, mais ressentit une pointe de regret face à son impulsivité. Certes, Frances était une vieille amie, et très amusante, et Molly l’adorait. Mais, Frances était aussi, eh bien, le genre de personne que les ennuis semblaient suivre. Des maisons qui brulaient, des voitures volées, des malentendus épiques — c’était le quotidien de Frances. Molly ne pouvait qu’espérer que son nuage noir resterait de l’autre côté de l’Atlantique, ou que peut-être Frances ne traine plus ce karma. Elles n’étaient pas loin de la quarantaine, après tout.

Quelqu’un frappa à la porte d’entrée.

— J’arrive ! cria Molly, regrettant, encore une fois, de ne pas avoir de chien. Elle ressentait toujours une pointe d’inquiétude en ouvrant la porte quand elle n’avait aucune idée de qui se trouvait de l’autre côté. Était-elle trop méfiante ? Trop anxieuse ? Elle se fit une note mentale de demander à Frances si elle ressentait la même chose.

Constance, la jeune femme qui venait occasionnellement faire le ménage, se tenait sur le pas de la porte avec un grand sourire. Elle avait ses cheveux tirés en arrière en une queue de cheval haute que Molly reconnaissait comme sa coiffure « prête à travailler ». Elles échangèrent des salutations et Constance entra pour se placer devant le poêle à bois.

— Il fait vraiment froid ici, Molly, dit-elle.

— Tu es sure que tu ne veux pas que Thomas installe des chauffages électriques pour que tu ne meures pas de froid ? Je détesterais venir ici et te trouver toute raide et gelée !

— Bah, ce n’est pas si terrible. Le printemps est presque là de toute façon.

— On est en décembre.

Molly haussa les épaules.

— Je suis désolée, je n’ai rien pour toi aujourd’hui. Je savais que les réservations diminueraient une fois que le temps changerait, mais c’est pire que ce que je pensais. Je suppose qu’anticiper quelque chose n’est pas la même chose que de le vivre. Personne n’a mis les pieds dans le gite depuis que tu l’as nettoyé la dernière fois.

Constance avait l’air abattue.

— Eh bien, mais… et si je nettoyais ta maison à la place du gite ?

Elle regarda autour du salon et haussa les sourcils en voyant la trainée d’écorces et de brindilles qui s’étaient répandues sur le sol après que Molly ait apporté des tas de bois.

— Désolée, Constance. Sans réservations, je n’ai pas l’argent pour te payer. Tu veux une tasse de café ? Que dirais-tu de t’assoir et de me raconter toutes les nouvelles ? Je sais que tu as des nouvelles.

Molly sourit et fit un geste vers le salon.

Constance lissa une mèche de cheveux rebelle derrière son oreille.

— Eh bien, dit-elle, as-tu entendu parler de Madame Luthier ? Tu la connais, elle vit dans cette maison décrépite sur la rue Saterne.

Molly secoua la tête tout en prenant une autre tasse de café. Constance était une terrible femme de ménage, pas moyen d’y échapper, mais elle avait toujours des nouvelles, et elle n’était pas avare de les partager non plus — des qualités que Molly estimait beaucoup, voire autant que d’être habile avec un aspirateur, au profit de Constance.

— Je crois que je l’ai rencontrée au marché un jour. Habillée tout en noir, avec des collants vraiment épais ?

— Ouais, rit Constance.

— Et des chaussures noires avec lesquelles on dirait qu’elle veut, j’ai l’impression, donner des coups de pied à quelqu’un.

— Elle a fait quelque chose de scandaleux ?

Molly tendit le café à Constance et s’assit sur le canapé, se penchant en avant en espérant un détail croustillant.

— Ça dépend si tu penses que déshériter sa fille est scandaleux.

— Oh, peut-être pas. Mais méchant. La fille a fait quelque chose d’horrible ? Ou Madame Luthier est juste une mégère tyrannique ?

Constance gloussa.

— Eh bien, peut-être que je ne devrais pas dire déshériter, parce qu’en France on ne peut pas faire ça. Mais elle ne lui laisse que la portion requise par la loi, ce qui, je pense que tout le monde serait d’accord, si la fille a dû supporter Madame Luthier toutes ces années, elle mérite plus que ça !

— Vous voulez dire qu’il y a des lois sur ce qu’on peut mettre dans son testament ?

— Oh, oui, dit Constance.

— Vos enfants héritent automatiquement de la moitié ou quelque chose comme ça. Oh, je ne suis pas douée pour les détails, dit Constance.

— Les maths n’étaient vraiment pas mon fort, et ce n’est pas comme si mes parents allaient me laisser autre chose que des dettes. Mais bref, j’ai entendu dire que la fille — elle s’appelle Prudence et tout le monde avait l’habitude de nous appeler Pru et Con, bien que personnellement, je ne voie pas ce qu’il y a de si drôle là-dedans —, donc Prudence est supposément furieuse. Mais elle ferait mieux de ne pas tuer sa mère, à moins qu’elle ne change son testament !

Et Constance se jeta en arrière sur le canapé, en riant hystériquement du malheur de son ancienne camarade de classe.

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